4 juin 2017

Les trésors enfouis

Elle était cette jeune femme pas toujours très bien dans sa peau.
  
Elle fuyait parfois les autres : peur de ne rien avoir à dire. Cette phobie, si tant est qu’on puisse l’appeler ainsi, entachait sa vie sociale, et entravait les rêves qu’elle avait. Un rêve en particulier. Celui d’écrire, le seul moyen qu’elle voyait pour s’exprimer. Elle était tentée de s’inscrire à un atelier d’écriture. Justement, elle avait trouvé une annonce pour une séance d’initiation. Exactement ce qu’elle cherchait ! Mais en se renseignant plus avant sur le concept, elle avait compris qu’il allait falloir se livrer dans ces ateliers. Alors elle repoussait encore et encore le moment de s’inscrire.
  
Jusqu’au jour où elle se décida : il était temps de passer outre cette peur, et de laisser l’envie d’écrire être la plus forte ! Elle sauta donc le pas.
  
Première étape : inscription actée pour un atelier d’1h30 se déroulant dans une galerie d’art. L’idée était alléchante de pratiquer l’écriture en lien avec l’art pictural, elle tâtait aussi ce moyen d’expression de temps à autre.
  
Seconde étape : ben, il fallait y aller !! Elle devait bien l’admettre maintenant : elle y était allée à reculons, les mains moites, le cœur battant. En entrant, elle ne souriait pas, tout inquiète qu’elle était à cette confrontation au groupe. Elle dit bonjour, sans s’arrêter, et s’installa sur l’une des chaises disposées en rond au milieu de la galerie. Cette dernière se remplit peu à peu, et bientôt la porte se referma. Plus moyen de reculer.
  
L’animateur commença par rapidement se présenter et demanda à chacun d’en faire autant. « Expliquez s’il vous plait pourquoi vous êtes ici, et si vous avez déjà participé à des ateliers d’écriture ». Elle se fit toute petite pour ne pas avoir à commencer. Pourtant elle savait qu’il valait mieux être volontaire que d’attendre son tour. Car au fur et à mesure que le tour de table remontait comme une vague jusqu’à elle, son cœur s’emballait. « Qu’est-ce que je vais dire ? Je vais rougir et avoir les mains tremblantes, je vais passer pour qui encore ? ». Ce sera finalement la voix qui tremblera, et qui dira d’une traite, sans presque respirer : « Je suis Sam, heu, je souhaite renouer avec cette envie d’écrire que j’ai depuis toujours… et puis… comme je n’arrive pas à le faire toute seule, je me suis dit que les ateliers d’écriture étaient peut-être le bon format pour ça ». Tirade achevée, elle regarda la personne suivante pour signifier qu’elle avait fini.
  
L’animateur présenta ensuite le cadre de l’atelier, puis invita les participants et participantes à l’expérimenter. Chacun choisit ainsi un tableau qui lui parlait plus particulièrement, puis était invité à lui attribuer un titre qui sera ensuite amené à devenir celui du texte. Ô surprise, il fallait le délivrer au groupe  ce titre ! Nouveau tour de table. Nouvelle intensification des battements de cœur, tout en se triturant les mains.
  
La consigne suivante était d’écrire un texte racontant l’histoire du personnage du tableau… et elle se sentait bien incapable d’écrire quoi que ce soit ! Elle resta plusieurs minutes à réfléchir, à griffonner quelques mots, puis les raturer… L’animateur remarqua son trouble et lui proposa discrètement de sortir de la galerie pour tenter de dénouer le syndrome de la page blanche. Il lui conseilla de faire abstraction des enseignements appris à l’école, de se libérer de l’idée qu’il faut structurer ses idées avant d’écrire, adieu intro/développement/conclusion ! L’idée était avant tout de s’appuyer sur le tableau, le sens contenu dans le titre identifié auparavant, et d’écrire… sans plus réfléchir.
  
Elle comprenait le concept, mais restait dubitative ! De retour à sa place, elle mit quelques minutes à trouver sa première phrase, mais une fois établie, elle se laissa aller à l’écriture, les idées naissant au fil des mots. Le texte se tenait, alors même qu’elle n’avait pas prémédité l’histoire en elle-même ! Belle découverte que cette fiction qui se livrait au fur et à mesure qu’elle s’écrivait ! « 5 min pour mettre un clap de fin à votre histoire ! ». Vite, vite, trouver une chute !
  
Il était maintenant temps de partager les textes. La voilà de nouveau moins fière, mais cette troisième prise de parole lui semblait déjà plus facile. Les lectures s’enchainaient, et « …mon dieu, ce que j’ai écrit est nul… ». Quand son tour arriva, elle fit la moue, haussa les épaules pour signifier que son texte n’en valait pas vraiment la peine, et le livra donc sans grande conviction.      
  
Pourtant, il reçut des félicitations autant que les autres. L’animateur mit en lumière qu’elle avait écrit à la façon d’un monologue intérieur : on vivait le moment présent en même temps que le personnage. Par ailleurs, elle avait choisi le même tableau que deux autres participants, et l’animateur insista sur le fait qu’à partir de mêmes éléments, des histoires différentes, dans des styles différents, avaient émergé. La singularité de chacun et chacune s’était exprimée, tandis que la diversité des textes révélait qu’il n’y avait pas de bons ou de mauvais textes, ni même une bonne ou mauvaise façon d’écrire. L’artiste, qui était présente, était heureuse de découvrir les histoires que suscitaient ses œuvres chez le spectateur ! Quant à l’animateur, il estima avoir gagné son pari : celui d’aider les uns et les autres à entrer en écriture : « Je n’ai pas d’autres ambitions que celles de vous mettre sur le chemin de l’écriture, je suis un intermédiaire entre vous et l’écriture finalement ».
  
Elle ressortit avec le sourire : elle avait survécu, et elle en retirait une satisfaction certaine !
  
Quelques jours plus tard, tous les textes étaient réunis dans un livret, avec les photos des tableaux. Cela permettait aux textes d’avoir une existence, et donnait la chance aux participants d’être en position de lecteurs plutôt que d’auditeurs cette fois-ci ! L’occasion de découvrir les subtilités des textes, et le sien ne jurait pas tant que ça finalement. Lorsqu’un atelier en lien avec une nouvelle exposition fut annoncé, elle continua sur sa lancée.
  
Sam prit vie au fil des séances. Elle se libérait de ses chaines, elle s’ouvrait aux autres, elle avait trouvé sa place dans le groupe, et ne s’asseyait plus d’office comme une sauvage, mais au contraire prenait le temps d’explorer l’exposition, et de discuter avec les premiers arrivés. Sam laissait libre court à sa créativité littéraire, elle s’amusait, et elle avait fini par s’accepter telle qu’elle était. Elle accueillait avec bienveillance (voire fierté !) ses textes : « c’est moi qui les ai écrits, et personne d’autre ! ». Elle les délivrait sans réticence, et écoutait avidement les textes des autres. Et cerise sur le gâteau, elle avait le sourire en entrant et en sortant !
  
Bien sûr, ses vieux démons montraient encore parfois le bout de leur nez, mais ils ne la dominaient plus. Et les ateliers d’écriture avaient permis de façon générale d’améliorer sa vie sociale : finies les fuites en avant !
  
Sam aujourd’hui ne conseille qu’une chose : osez les ateliers d’écriture, car ils font émerger des richesses insoupçonnables… et le meilleur de chacun et chacune !